La notion de « vie familiale » entre adultes au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) précisée par la Cour européenne
Dans deux arrêts en date du 10 décembre 2024 concernant les Pays-Bas, la Cour européenne a précisé les contours de la notion de vie familiale entre des parents et leurs enfants ou entre frères et sœurs adultes dans des affaires liées à des demandes de regroupement familial refusées au plan interne. La Cour en profite pour rappeler la nécessité de démontrer l’existence « d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux ».
L’article 8 de la CEDH sur le droit au respect de la vie privée et familiale a donné lieu à une jurisprudence foisonnante de la Cour européenne qui n’a eu de cesse de rappeler que la composante essentielle de la vie familiale est « le droit de vivre ensemble de sorte que des relations familiales puissent se développer normalement » et que les membres d’une famille puissent être ensemble. La Cour rappelle que la « vie familiale » peut se prolonger au-delà de l’âge de la majorité lorsqu’il existe des « éléments supplémentaires de dépendance » permettant l’existence d’une « vie familiale » entre des parents et leurs enfants adultes.
La première espèce, Kumari c/ Pays-Bas (requête n° 44051/20), porte sur le refus opposé à la requérante d’obtenir un visa provisoire de résidence fondé sur le regroupement familial avec son fils adulte qui réside depuis de nombreuses années aux Pays-Bas et a la nationalité néerlandaise. La requérante allègue que leur relation tombe sous le coup de la protection de l’article 8 de la Convention du fait qu’elle a démontré l’existence « d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux » et que ne pas l’autoriser à résider avec son fils et sa famille aux Pays-Bas est contraire à son droit au respect de la vie familiale. L’examen au cas par cas de la relation entre la mère, Madame Kumari, vivant en Inde et son fils majeur résidant aux Pays-Bas n’a pas permis de conclure à l’existence d’une relation de dépendance entre eux. Le fils n’a pas démontré en quoi sa vie aux Pays-Bas, alors qu’il y mène une vie normale avec son épouse et ses fils, loin de sa mère, l’empêchait d’exercer une vie familiale normale. La mère n’a pas davantage démontré qu’elle avait besoin de manière constante des soins et de l’assistance de son fils. Le lien de dépendance allégué relevait davantage de problèmes de santé liés à son âge, son fils pouvant par ailleurs lui fournir une aide financière depuis l’étranger. La Cour en conclut que la relation existant entre Madame Kumari et son fils ne s’analyse pas en une « vie familiale » au sens de l’article 8 et déclare à la majorité la requête irrecevable.
La deuxième espèce, Martinez Alvarado c. Pays-Bas (requête n° 4470/21), porte sur le refus des autorités nationales d’accorder au requérant, un homme souffrant d’un handicap mental, totalement dépendant des autres pour ses soins quotidiens, un permis de résidence sur la base du regroupement familial avec ses quatre sœurs adultes, toutes résidentes depuis de nombreuses années aux Pays-Bas et /ou citoyennes néerlandaises. Le gouvernement néerlandais ne conteste pas le handicap mental du requérant qui fonctionne comme un enfant d’âge mental de 8 ans ni sa dépendance sur les autres pour ses soins quotidiens et son Cependant le gouvernement considère que le requérant n’était pas particulièrement dépendant de ses sœurs pour ses soins et l’assistance dont il avait besoin et que des options alternatives étaient disponibles telle un frère au Pérou, des institutions de soins au Pérou accessibles au requérant. Au contraire, le requérant allègue que l’article 8 est applicable en ce que la relation entre le requérant et ses sœurs, sur qui il se repose depuis des années pour recevoir des soins et une assistance constitue une « vie familiale ». La Cour analyse la relation existante entre M. Martinez Alvarado et ses sœurs et en conclut qu’elle est constitutive d’une « vie familiale ». M. Martinez Alvarado souffre d’un handicap grave, son développement mental étant semblable à un enfant de 8 ans du fait de la déficience intellectuelle dont il est atteint. Son état le place en situation d’incapacité telle qu’il n’a d’autre choix que de compter sur les soins et l’assistance de ses quatre sœurs qui résident toutes aux Pays-Bas, dans sa vie quotidienne depuis le décès de ses parents en 2015. La Cour note que l’existence de solutions de remplacement viables pour les personnes atteintes de handicaps mentaux au Pérou, qui sont généralement prises en charge par des proches, n’a pas été établie. La Cour en conclut que dans le cas de Monsieur Martinez Alvarado, l’existence « d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que des liens affectifs normaux » a été démontrée et déclare la requête recevable. La Cour souligne ensuite que l’appréciation de l’article 8 par les autorités nationales n’a pas été faite dans le respect des principes énoncés par la Convention et la jurisprudence de la Cour. Elle conclut à la violation de l’article 8.




