CEDH : violation de la Convention dans l’affaire E.A. c. France sur les violences sexuelles
Contexte de l’affaire E.A. c. France
Décision du 4 septembre 2025 dans l’affaire E.A. et Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail c. France (requête no 30556/22), Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)
Lien url : https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-244682
Les requérantes soutiennent que les dispositions pénales en vigueur en France n’assurent pas une protection suffisante contre les actes sexuels non consentis. Selon elles, les autorités internes n’ont pas satisfait à leur obligation d’enquêter de façon effective sur les faits dénoncés par E.A. et de sanctionner leur auteur présumé K. B., et ont exposé E.A. à une victimisation secondaire. Invoquant les articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention européenne des droits de l’homme, elles soutiennent que les autorités internes ont manqué à leurs obligations positives.
Le prévenu K. B., condamné en première instance pour violences volontaires et harcèlement sexuel, a été relaxé en 2021 par la cour d’appel de Nancy, les juges estimant que comme les deux protagonistes avaient signé un « contrat maître-chienne » régissant leur relation, celle-ci était consentie. Ayant épuisé les voies de recours en France, E. A. a saisi la CEDH.
Les obligations positives de l’État
La CEDH rappelle que « les obligations positives inhérentes aux articles 3 et 8 commandent en premier lieu l’instauration d’un cadre législatif et réglementaire permettant de protéger adéquatement les individus contre les atteintes à leur intégrité physique et morale, notamment les actes aussi graves que le viol. »
La Cour continue en énonçant que « les articles 3 et 8 de la Convention mettent également à la charge des États une obligation positive procédurale. Ainsi, lorsqu’une personne allègue de manière défendable avoir été victime d’actes contraires à ces dispositions, les autorités nationales doivent mener une enquête officielle effective propre à permettre l’établissement des faits ainsi que l’identification et la punition, le cas échéant, des personnes responsables ».
Pour être effective, l’enquête menée doit être suffisamment approfondie et objective. Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est également inhérente à la garantie d’effectivité dans ce contexte.
Dans son appréciation du respect par l’État de ses obligations positives, « la Cour tient compte de l’importance de protéger les droits des victimes. Les procédures pénales relatives à des infractions à caractère sexuel sont souvent vécues comme une épreuve par la victime, en particulier lorsque celle-ci est confrontée contre son gré au prévenu ». Dans la conduite de la procédure, en parallèle avec le respect effectif des droits de la défense, la Cour relève qu’il est essentiel d’éviter « de reproduire des stéréotypes sexistes dans les décisions de justice, de minimiser les violences contre le genre et d’exposer les femmes à une victimisation secondaire en utilisant des propos culpabilisants et moralisants propres à décourager la confiance des victimes dans la justice ».
La Cour réaffirme que « le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances. »
Condamnation de la France par la CEDH
« Dès lors, aucune forme d’engagement passé – y compris sous la forme d’un contrat écrit – n’est susceptible de caractériser un consentement actuel à une pratique sexuelle déterminée, le consentement étant par nature révocable »
Pour la CEDH, « La cour d’appel de Nancy ne pouvait donc s’appuyer sur la signature du « contrat » établi entre K.B. et E.A. pour considérer que celle-ci était réputée avoir consenti à l’ensemble des pratiques sexuelles violentes qui lui avaient ultérieurement été infligées. Il lui incombait au contraire, sans tenir aucun compte de ce document, d’examiner les allégations d’E.A. selon lesquelles certains actes sexuels avaient été commis contre son gré ou s’étaient poursuivis alors même qu’elle avait supplié K.B. d’y mettre fin. »
Aux yeux de la Cour, « le « contrat maître-chienne » que K.B. est parvenu à faire signer à E.A., et qui fut plusieurs fois « renégocié », constitue manifestement l’un des instruments du contrôle coercitif mis en œuvre par ce dernier ».
« En opposant à E.A. la signature de ce document, la cour d’appel de Nancy l’a exposée à une forme de victimisation secondaire, un tel raisonnement étant à la fois culpabilisant, stigmatisant et de nature à dissuader les victimes de violences sexuelles de faire valoir leurs droits devant les tribunaux. La Cour en conclut que les autorités nationales ont manqué à leur obligation de protéger la dignité d’E.A. ».
Dès lors, « compte tenu, d’une part, des lacunes du cadre juridique en vigueur à la date des faits, et d’autre part, des défaillances rencontrées lors de sa mise en œuvre – celles-ci tenant à la fois à l’exclusion des atteintes sexuelles dénoncées par E.A. du cadre de l’enquête, au caractère parcellaire des investigations, à la durée excessive de la procédure, et aux conditions dans lesquelles le consentement d’E.A. a été apprécié par les juridictions de jugement –, la Cour considère que l’État défendeur a manqué à ses obligations positives, qui lui imposaient d’instaurer des dispositions incriminant et réprimant les actes sexuels non consentis et de les appliquer de façon effective. Partant, il y a eu violation des articles 3 et 8 de la Convention. »